Stories
Mon histoire, c’est votre histoire
Article invité : Karolina Borg
Saviez-vous que votre vie était contée dans une histoire ? Eh oui : chacune de nos vies est une histoire. Elle ne suit pas nécessairement une ligne droite ou une logique quelconque. Parfois, elle ne semble même pas pertinente, et parfois, elle l’est intensément. Elle peut donner l’impression de transcender la vie ou de compter pour du beurre. Mais elle existe. Elle s’inscrit dans un contexte et possède un ADN unique. Elle se compose de photos et de mots. Une partie est réelle, l’autre repose entièrement sur l’imagination. Mais plus que tout, ce sont les émotions qui la guident.
Si je pouvais faire le souhait d’une histoire, ce serait celle de ma mère. Depuis qu’elle ne foule plus cette Terre, je ne peux plus l’interroger sur les fils d’émotion qui tissaient sa vie. Ça alors, oui ! Je sais presque tout. Son enfance au village, le grand déménagement en ville, les courants qui ont porté son être. Mais qu’a-t-elle ressenti en vivant ces souvenirs fondamentaux ? Comment expliquer l’essence des photos que j’ai vues ? Celles qu’elles me décrivaient à la manière d’un tableau, avec une transparence qui variait selon son humeur et son niveau d’énergie. Son histoire pleine d’émotions, voilà mon souhait le plus cher, car son histoire est en quelque sorte aussi la mienne.
Bien sûr, je sais que certaines choses sont impossibles. Mais d’autres sont possibles. Il se trouve que je peux préserver mes propres émotions, les stocker en sécurité. Le temps abonde et mes enfants sont (encore) sous mon aile. Je m’adresse donc à vous, mes chers et adorables enfants, qui ne trouvez aucun intérêt à ce que votre mère ressent dans son cœur (ni à ce qu’elle dit, d’ailleurs). Pardonnez-moi de ne pas vous avoir fait un merveilleux album « Ma première année » et de ne pas vous avoir ouvert un livret d’épargne encore plus merveilleux, qui vous aurait permis de retirer une belle liasse de billets au moment de quitter le nid. Pardonnez-moi aussi de m’être endormie systématiquement lorsque vous étiez petits et que je vous lisais des contes de fées le soir, avant de vous coucher. Mais aujourd’hui, je vais vous faire un présent dont les merveilles sont d’un autre ordre. Un ADN que vous ne pourriez jamais retracer par vous-même. À l’aide de quelques photos seulement, je vous offre un fragment de mon histoire et de toutes les émotions qu’elle contient. Même si vous ne le saisissez pas encore pleinement, mon histoire, c’est aussi votre histoire. Et votre histoire fait partie de la mienne.
Vous comprendrez quand vous serez plus grand. Beaucoup plus grand.
Vraiment beaucoup plus !
Maman vous aime fort.
Le souvenir d’une étreinte
Sur cette photo, je suis minuscule. Bien entendu, je ne me souviens pas de ce moment précis. Mais au fond de moi, quelque part, je porte le souvenir d’être aimée, bien installée dans les bras de quelqu’un. Vous savez que mamie était malade. Pendant presque toute ma vie, elle s’est battue pour la sienne. Un tiers de son existence. Il y a eu des hauts et des bas. Et c’est probablement cette situation qui a le plus défini la personne que je suis devenue. Elle, malade. C’est pour cela que je suis si heureuse de voir un tel sentiment sur des photos. Mamie qui me tient dans des bras encore vaillants. F et B, je ne sais pas encore ce qui vous définira en tant que personnes. Mon génie, je l’espère. (Je rigole…) Peut-être que ce sera bien pire que cela et que je ferai semblant de ne pas être au courant quand vous m’en parlerez une fois adultes, ou peut-être qu’il n’y aura rien de spécial. Mais j’espère que vous vous en souviendrez. Le sentiment que quelqu’un vous aime. Vous serre fort dans ses bras. Vous porte.
Te voici, F. Tout aussi minuscule. Tu viens d’arriver en ce monde. Après une naissance difficile, la première chose que tu as faite a été de te gratter la joue en signe de protestation. Une cicatrice qui orne encore ta peau. Je l’adore ! Parfois, je me perds dans mes souvenirs en la contemplant. Tu as tellement grandi. Bientôt, ta vie t’absorbera complètement. Mais nos cicatrices nous accompagnent tout au long du chemin. Celles qui se voient comme celles qui ne se voient pas. Souviens-toi qu’elles ne sont pas toujours un défaut. Nos cicatrices. Elles mettent souvent en valeur la beauté de notre histoire.
La signification d’un veston en cuir synthétique
Cette photo nous représente toi et moi, B. Nous étions (surtout moi) beaucoup plus jeunes qu’aujourd’hui. J’ai presque le vertige à imaginer nous rencontrer à ce moment-là. Au même âge. Ce serait fabuleux, n’est-ce pas ? Je me souviens de la sensation des vêtements que je portais comme si c’était hier. C’était un ensemble assorti. Le veston et la jupe. Avec une chemise en dessous. Le toucher délicat du cuir synthétique sous mes doigts. Je crois que c’est le plus vieux souvenir que j’ai à propos de vêtements. J’étais attirée par chaque parcelle. J’y découvrais des secrets sur la manière de me sentir moi-même. Alors B, lorsque tu fais corps avec chacune des coutures de tes vêtements. Lorsque tu passes des heures devant ton miroir à essayer différentes tenues. Et lorsque tu as besoin (!!!) de ces chaussures pour obtenir un sentiment d’achèvement. Tu sauras dorénavant que tu tiens cela de moi. Tu n’as pas à en avoir honte. Ce n’est pas superficiel. C’est une facette de ta personnalité qui t’aide à te sentir toi-même. Je sais que cette chemise en jean est l’un des premiers vêtements dont tu te souviens. Tu l’adorais, et peut-être même que tu adorais te voir dedans.
Le souvenir de se sentir chez soi
Vous savez que j’ai commencé à jouer au tennis quand j’étais jeune. Très jeune. Et j’ai atteint un assez haut niveau. Sans vouloir me vanter. MAIS… c’est vrai que j’ai fait partie des 10 meilleurs joueurs à l’échelle nationale. Bref. Pendant longtemps, ce sport a occupé une grande partie de ma vie. La sensation des cordages sous mes doigts, la balle jaune et le manche de ma raquette sont incrustés en moi comme des tatouages. Même aujourd’hui, quand je foule un terrain de tennis, que je respire l’odeur du feutre et que j’entends une raquette frapper une balle, je me sens chez moi. Mais un jour, tout a semblé s’arrêter d’un coup. C’était fini. Je me souviens d’avoir eu l’impression d’abandonner et, d’une certaine manière, de perdre un foyer. Mais je me trompais. F et B. Tout au long de votre vie, vous allez vous sentir chez vous à de nombreux endroits qui ne vous quitteront jamais vraiment, même si votre chemin vous en éloigne. S’il vous arrive de douter, souvenez-vous qu’il y a une grande différence entre arrêter et abandonner. Tourner la page signifie aussi commencer un nouveau chapitre. Les pertes de temps, ça n’existe pas. Tout se transforme en espaces qu’il vous est possible d’arpenter quand bon vous semble.
La peur d’une peur
Ceci est mon premier jour à l’école primaire. Je commence non seulement ma scolarité, mais aussi une nouvelle vie. Ne vous fiez pas à mon air joyeux et enthousiaste : c’est ainsi que l’on nous demande de poser pour les photos, n’est-ce pas ? « Regarde-moi et fais un beau sourire… » Mais en réalité… Je n’avais rien de moins qu’une peur bleue. La vie peut nous effrayer de différentes manières. Avec le recul, je réalise toutefois qu’il n’y a rien de pire que d’avoir peur de la peur. Cette appréhension nous paralyse. Les événements qui nous effraient ne sont jamais aussi dangereux que la peur elle-même. F et B, j’ai fait beaucoup d’efforts pour essayer de moins vivre dans la crainte. Je ne suis pas vraiment sûre d’avoir tant progressé, mais je sais que j’ai réussi à ne pas vous transmettre mes peurs. Vous faites preuve d’un courage exceptionnel, bien que tout à fait différent l’un de l’autre. Certes, la bravoure n’est pas la clé de tout, mais la peur se rapproche d’un verrou. Même si personne n’a encore trouvé la clé de tout, il est certain que s’enfermer dans la crainte n’aboutit à rien. (Cela dit, si je pouvais vous enfermer à double tour pour toujours, je le ferais pour vous protéger à jamais du danger.) Nous en arrivons à mon adolescence, à l’âge que vous avez aujourd’hui. Vous savez, j’associe ces années-là à de nombreuses difficultés. Mais nous en parlerons plutôt dans le prochain album sur les sentiments de maman. Car vous ne pourrez pas échapper à mon histoire. Je veux que vous en connaissiez tous les aspects.
Il y a des centaines de façons de voir les choses. Et des milliers de les ressentir. En préservant les souvenirs, vous offrez à quelqu’un le plus beau des cadeaux. En effet, votre histoire, c’est aussi l’histoire d’une autre personne qui recherche peut-être des réponses aux questions toujours tues.